MOSTRA DE VENISE : JR ET ALICE ROHRWACHER BLUFFENT LE LIDO AVEC UN CONTE PHILOSOPHIQUE

JR est assis, tout de blanc vêtu, dans la grande salle de projection de la Mostra de Venise. Tout de blanc vêtu, chapeau et lunettes noires signature, l'indéfinissable et génial artiste est là avec la réalisatrice italienne Alice Rohrwacher, avec qui il vient présenter ce que la dénomination officielle appelle un court-métrage. Pour eux, Allégorie Citadine est d'abord un conte, sur fond philosophique : celui de la fameuse grotte de Platon, sur laquelle ont planché tous les élèves de terminale de l'hexagone. Mais ici, rien de savant : ce drôle d'objet à découvrir sur (grand) écran est en réalité la deuxième production à quatre mains du tandem (avec le soutien de Chanel) qui avait, déjà à la Mostra de Venise, présenté en 2020 Omelia Contadina, un format court consacré aux agriculteurs et aux habitants du plateau de l'Alfina, en Italie.

Cette fois-ci, pour ce nouveau chapitre, c'est la ville qui est à l'honneur, à travers le regard d'un enfant baladé par une mère danseuse (Lina Khoudri) sur fond de cité qui n'est pas celle que vous croyez. Le pitch, sur fond de musique signée Thomas Bangalter ? « Dans l’Allégorie de la caverne, Platon se demande : que se passerait-il si l'un des prisonniers parvenait à se libérer de ses chaînes et à s'échapper de la caverne ? Et si ce prisonnier était Jay, un petit garçon de 7 ans ?»

À l'issue de la projection, rencontre avec JR et Alice Rohrwacher, autour d'une bouteille d'eau, soleil de plomb oblige.

Danse, cinéma, photo, collage… C'est un objet complet que vous avez imaginé, en rassemblant toute les disciplines qui vous sont chères?

JR : Je l'avais déjà fait notamment avec Robert de Niro en 2014 avec de la fiction mélangée à du collage. Mais ici avec l'univers d'Alice, et avec plus de mes univers, c'est vrai que nous sommes allés plus loin. Et qu'on a eu l'occasion, et c'était une première, de faire de la stop motion avec des collages. Il n'y avait pas de meilleur endroit pour le faire sur un film comme ça.

Comment est né le projet d'Allégorie Citadine ?

JR : Quand j'ai commencé à travailler sur «Retour à la Caverne», mon projet avec l'Opéra de Paris, puis avec Thomas Bangalter et Damien Jalet sur Chiroptera, sur la façade même du Palais Garnier, j'avais déjà appelé Alice, en lui disant que nous pourrions créer un conte. Entre autre parce qu'elle est cinéaste, elle connaissait très bien l'allégorie de la caverne, cette idée de l'ombre et de la lumière, et on a commencé à penser, à écrire, et c'est comme ça qu'est né Allégorie Citadine.

Est-ce que cette idée de la réalité qui n'est pas celle que l'on croit fait de vous un philosophe?

JR : L'idée de changer de perspective est toujours dans mon travail, comme celle d'amener un regard différent, de changer la manière dont on voit le monde, et par là, de changer le monde lui-même. Donc, oui, d'une certaine façon… C'est comme ça que c'est très visuel pour nous, mais aussi avec tous nos ingrédients respectifs, nos questionnements à chacun…

Ce livre m'a fait penser au Ballon rouge d'Albert Lamorisse, mais aussi au personnage principal du film d'Alice dans Heureux comme Lazzaro….

AR : On a cherché le même rouge que dans le Ballon Rouge. Et j'adore les enfants. Je crois que les enfants sont encore des étrangers. En tant qu'adulte, il faut se rappeler de ce regard d'étranger qui est celui de quelqu'un qui nait, qui doit tout apprendre, des gestes, un langage, mais qui, d'emblée à déjà un regard sur le monde. Les enfants nous rappellent ça : l'importance de rendre notre regard étranger.

Pourquoi avez vous choisi Paris comme décor?

JR : On travaille de manière intuitive, en fonction de ce qui se passe dans nos vies. Quand on avait fait Omelia Contadina, on était dans le monde d'Alice, celui de la campagne, des paysans, de la lutte contre l'agriculture intensive qui est un univers qui m'est étranger. Ici, Alice est venue dans mon univers urbain, dans ma ville, dans les quartiers qui m'inspirent, des bâtiments que j'ai toujours connus. C'était le match retour.

AR : La prochaine fois, on ira dans un endroit neutre, qu'on ne connait ni l'un ni l'autre…. Une forêt!

«Les frontières sont des illusions. On ne dit pas à un oiseau ne va pas là, on ne bloque pas le pollen des fleurs ou les racines des arbres.»

Alice Rohrwacher

De quand date votre première rencontre?

AR : Elle s'est faitre grâce à Agnès Varda, en 2015. On était à Cannes, je rentre à l'hôtel, je tombe sur Agnès et JR. On a parlé, on s'est retrouvé plusieurs fois, dans plusieurs villes… Ca a été tout de suite une grande intuition que dans notre diversité il y avait quelque chose qui nous liait.

Etes vous tous les deux adeptes d'une même fantaisie, d'une même propension à l'onirisme?

JR : Le monde d'Alice, son regard, sa poésie m'inspirent énormément. Elle a une note très juste mais difficile à trouver. À chaque fois qu'on travaille ensemble, qu'il faut trouver une idée, je cherche, tandis qu'Alice la trouve spontanément. Je me demande toujours comment elle fait. Elle a un monde que j'ai l'impression de connaître, même s'il m'est totalement inconnu : c'est ça la force d'Alice.

AR : Je ne sais pas si on peut parler d'onirisme, car on suppose qu'il y a un monde réel et un monde onirique, qui sont séparés. Ce que j'aime chez JR, et c'est quelque chose qui nous réunit, c'est la croyance que les frontières sont toutes un peu ridicules. Ce sont des illusions. On ne dit pas à un oiseau ne va pas là, on ne bloque pas le pollen des fleurs ou les racines des arbres. Les frontières entre les pays, entre l'onirisme et le réel, sont des illusions. Et cette illusion, elle est au coeur de JR, qui n'en fait pas un lieu de conflit mais un lieu de réunion. Et puis, il y ajoute une certaine ironie, une dimension d'enfance de l'art qui n'a rien d'infantile.

Pourquoi avoir choisi de présenter Allégorie Citadine à Venise?

JR : Le choix de la Mostra de Venise, c'est des hasards, des questions de calendriers ici, on avait présenté Omelia Contadina en 2020 ici, avec une procession de paysans sur le Grand Canal. Mais la salle était quasiment vide, il n'y avait personne sur le tapis rouge. Là, c'est un retour.

AR : Venir à Venise, c'est toujours spécial. On peut vivre sur l'eau comme on peut vivre sur la terre. Dans nos deux films, il y a aussi l'idée d'une géographie, d'une typologie, d'espaces différents : Omelia Contadina à la campagne, Allégorie Citadine en milieu urbain. Le premier était ce qu'on a appelé une action cinématographique, et le second, un conte.

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